On en parle, et bien

Un grand merci à Guillaume Contré qui a lu pour Le Matricule des anges du mois d’avril deux livres parus à nos éditions : Halage, de Patrick Wateau, et L’Immobilité et un brin d’herbe, de Serge Núñez Tolin.

Signalons également un autre bel et dense article de Romain Frezzato consacré au très dense Halage de Patrick Wateau :

« La grammaire anomale de Wateau offre un asile heureux. Le poète habite sa langue. Langue-État par lui bâtie. En sorte que la « veine-cave » du vers irrigue un corps de mots. En sorte que d’halage il n’est question qu’au cœur du texte. C’est sur la rive d’un canal syntaxique que Wateau hale le sens, tire la corde d’une embarcation rare. Et puis, après Traversaire, récemment paru chez Pariah, on note la persistance d’un cheminement, d’un désir randonneur. Là où le poète bouge encore, et avec lui l’homme, c’est le poème. S’arpente un sentier éclaté : bribes de voies, verbe court, distiques et monostiches privilégiés. C’est pourquoi sans doute les tautologies et paradoxes mentionnés plus haut laissent un arrière-goût claustral. Nul n’échappe à la formule – comme nul n’échappe au corps commun, lui aussi carcéral, à l’ouroboros du vivre. D’où ces notules éparses d’un corps en état de non-corps : « l’os poursuit la clinique de la chair / il poursuit son absence renoncée ». C’est d’un corps souffreteux que surgit le poème, désarticulé comme sa langue : « Ossature / dans le trait / ensevelir jusqu’à l’hurlante / chaque coudée sous terre […] Au testament de vie / les énigmes s’échinent / en audiences hargneuses // Les unes raclent les autres / quand le pied se retire de la jambe / Raclements / quand la jambe se retire du corps ». Érigne et rugine sont les outils du scribe. Lui qui racle dans le mot, qui rabote et crochète dans la syntaxe et le sens qu’elle hale. Bien sûr le rapport au poème – pour qui lit – se fait sur le mode de l’interrogation, d’un scepticisme fécond. Qu’est-ce qu’une « lumière vide » ? Qu’est-ce qu’un « non-os », une « eau de poils épucés » ? Que sont des gestes « déduits des doigts » ? Qu’est-ce encore que « chienner sa vie » ou d’« arriérer le testicule » ? Quelles images s’élaborent dans la tête de qui lit ? Au rebours du métaphorique, à son encontre, Wateau réfute l’image, ou la contraint, l’hystérise, jusqu’au point de rupture. Pur fait de langue. Mis dans l’impossibilité de visualiser (le « non-os », le « mange-magie » le « Gratte-Babel des langues »), le lecteur se coltine le phénomène sonore, l’aporie mentale du poème.  »

L’intégralité de l’article est à lire sur Poesibao : https://www.poesibao.fr/patrick-wateau-halage-lu-par-romain-frezzato/

« L’immobilité et un brin d’herbe » lu par Marc Wetzel

Un grand merci à Marc Wetzel pour sa belle et dense lecture du livre de Serge Núñez Tolin, mise en ligne sur le site Poesibao. Extrait :

« C’est notre poète le plus dense et le plus obstiné : Serge Núňez Tolin cherche, depuis des décennies d’efforts, quelque chose d’à la fois très simple et extraordinairement ambitieux : saisir la relation véritable de l’homme au monde. Pour cela, il part de ce qui est : nous sommes, êtres humains, en présence du réel par un corps apte à le percevoir et le formuler. Ce que veut établir l’auteur, c’est le noyau dur de cette mise en présence. Il part de sa modalité essentielle : la perception, c’est à dire la capture des signaux du monde, la réception des stimulations qui nous en informent. Mettons alors cette faculté perceptive à nu – en nous servant certes de notre pensée (l’homme pense), mais non pour surplomber la perception, plutôt pour mieux la parcourir; et en notant certes en signes et paroles ce parcours (l’homme parle), mais non pour neutraliser ce parcours de la perception, plutôt pour le rendre à lui-même (“Les mots noués au réel qui ne cesse de dénouer la parole“, p. 54). Oui, la vie sensorielle de l’homme est, comme chez aucun autre animal, mêlée de mots et d’idées, mais les mots savent formuler leur propre absence, et les idées peuvent critiquer ou nuancer leur propre pouvoir. C’est même justement parce que l’homme est le seul à penser et commenter sa réceptivité sensible qu’il peut la dénuder en retour, à loisir et communicablement, et l’isoler ainsi de la pensée et de la parole ! Ainsi “creuser les sens jusqu’à leur source : atelier du réel“, l’esprit du poète peut l’effectuer, en ouvrant, approfondissant et remontant ces “sens” sans les ni se contredire !

Alors la démarche est claire : détacher notre lien sensoriel-perceptif au monde de ce qui l’accompagne ordinairement et le trouble. Détacher donc d’abord la sensibilité de la motricité, par laquelle nous effectuons des changements en transmettant musculairement des forces depuis l’organisme jusqu’à l’environnement. C’est ainsi tenter, dans “l’immobilité” de saisir une réceptivité pure, sans répartie ou réplique active. Détacher ensuite la fonction perceptive de la fonction de protection et de défense, qui l’accompagne pour la survie : nous détectons spontanément des présences pour nous assurer de ce qu’il y a, et donc nous prémunir de ce qu’il pourrait y avoir ! La perception est d’abord une prise d’information de sauvegarde, chargée de préserver du fâcheux et de l’imprévu. Mais une contemplation, elle, n’a rien à craindre. C’est pourquoi à l’immobilité s’ajoute ici le “brin d’herbe”, contre lequel il n’y a certes pas à se protéger ou défendre (prudence et blindage seraient vains, et la réceptivité peut alors ici se permettre d’être pure, n’ayant à se défier de rien). Enfin, détacher la sensibilité de la fonction esthétique, et musicale en particulier. Dans la musique, nous entendons de purs événements sonores se causer et se motiver les uns les autres, pour nous faire goûter leur écoulement temporel, et nous ravir de et dans leur mélodie liée. Ici, pas de musicalité pour enrôler ou divertir la pure sensibilité; à sa place, bien sûr, l’absence de rythme temporel qu’est le silence – et dans ce silence des choses, leur pure et simple commune spatialité. Silence partagé par l’immobilité et le brin d’herbe !  Núňez Tolin s’en tient donc, non du tout au temps que nous passons avec les choses, mais d’abord à l’espace (“Passage de l’étendue, avant qu’elle ne se poursuive dans la seconde qui vient“, p. 33) où elles se font les unes les autres passer et se produire, pour y “recevoir les choses dans leurs (silencieux) rapports réels“. Ainsi la pure mise en présence d’un monde, sans mouvement, garantie ni reflexivité, est, on ne peut mieux, convoquée et restituée. “Se tenir dans le présent que l’on est” (p. 35) n’est plus hors d’atteinte. (…) »

La suite sur le site Poesibao : https://www.poesibao.fr/serge-nunez-tolin-limmobilite-et-un-brin-dherbe-lu-par-marc-wetzel/

Vient de paraître

Trois nouveautés au Cadran ligné (en librairie ce lundi 8 avril)

La Nacelle précédé de L’Oiseleur

de Marc Graciano

14 €

70 pages

ISBN : 978-2-493603-03-6

Après Le Soufi (2020) et Le Charivari (2022), La Nacelle précédé de L’Oiseleur est le troisième volet d’un plus vaste ensemble que l’auteur nomme « Le Grand Poème ». Les deux textes qui composent La Nacelle précédé de L’Oiseleur sont portés chacun par une seule phrase aux multiples méandres et d’une méticulosité presque obsessionnelle. Plutôt que de se mettre au service d’une narration (réduite ici à son minimum, où l’intrigue compte si peu), l’écriture permet à l’auteur de développer des visions où la précision de la description est ce qui prime et donne un caractère presque hallucinatoire à ce qui est montré. A force de détailler au plus près les gestes qu’accomplissent ses personnages, Marc Graciano parvient à les présenter comme une sorte de vaste geste épique dont le caractère archétypal plonge chacun de nous au cœur de l’humain.

L’Immobilité et un brin d’herbe

de Serge Nuñez Tolin

14 €

62 pages

ISBN 978-2-493603-05-0

Avec ce titre, L’immobilité et un brin d’herbe, Serge Nuñez Tolin continue la veine qui est la sienne jusqu’à aujourd’hui d’une poésie en prose, fragmentaire et méditative. Quelques thèmes constituent les pivots d’une quête obstinée : le silence, l’immobilité, la présence. À première vue, cette quête peut sembler abstraite mais elle est pourtant, chez cet auteur, constamment appuyée sur une expérience qui la porte et l’atteste : ce seront par exemple la marche ou le quotidien le plus banal et trivial qui se rencontre pour chacun dans les tâches domestiques. Cet écart entre une réflexion spéculative, quasiment d’ordre métaphysique, et le réel le plus concret, le plus terre à terre disons, fonde le charme un peu austère de cette écriture qui ne s’interdit pas quelques belles envolées lyriques ou bien proches de la fulgurance aphoristique.

Halage

de Patrick Wateau

16 €

124 pages

ISBN 978-2-493603-04-3

Composé de sept sections, le recueil Halage fait alterner des séquences de poèmes brefs avec des poèmes plus longs. Dans les deux cas, il s’agit d’explorer les limites du langage et du dicible, et le poème use de la fulgurance de l’image poétique pour tenter de percer ce qui ne peut être dit. À la fois existentielle et spéculative, l’écriture du poète semble extrêmement ramassée et lapidaire, et elle n’est pas sans une certaine violence. Mais si elle est ramassée et lapidaire, elle l’est d’abord un peu comme on prend un caillou et qu’on le jette contre le paysage qui fait obstacle : afin de tenter de passer outre. Le caractère abrupt de cette écriture, notamment parce que la syntaxe est souvent perturbée par un goût affirmé de la concision et du resserrement, est toutefois compensé par une grande clarté des images. Celles-ci témoignent de ce que, sous l’apparente intellectualité et aridité de l’écriture, existe une poésie qui repose avant tout sur une expérience sensible.

La Cadran ligné au salon L’Autre Livre

Le Cadran ligné sera présent au salon des éditeurs indépendants, L’Autre Livre, en compagnie des éditions Pierre Mainard.

Stand A26-A27-A28
Les 10, 11 et 12 novembre 
à la Halle des Blancs Manteaux
48, rue Vieille-du-Temple
75004 Paris 

Vous pourrez y croiser certains de nos auteurs, notamment Anne-Marie Beeckman, Joël Cornuault et Cécile A. Holdban.

David Dielen à propos de Osselets

Merci à David Dielen qui donne une belle note de lecture à propos de Osselets de Cécile A. Holdban sur le site Les Haleurs. Extrait :

« Faudrait-il imaginer, sur le modèle du jeu remontant à l’Antiquité, que le lecteur est soumis à un défi d’adresse consistant à suspendre sa lecture d’un poème pour en saisir un autre, puis deux, puis trois, faisant alternativement s’entrechoquer et s’envoler les mots jusqu’à refermer définitivement le recueil ? Qu’atteindrait-il alors d’insaisissable immédiatement ? Ou s’agirait-il de voir dans le terme « osselets », magnifiquement choisi par Cécile A. Holdban, une dimension figurée, celle de petits éléments, comme de petits os, éclairants toutefois, et jouant, entre les différentes et nombreuses évocations qui constituent ce livre, un rôle charnière à la manière de l’astragale du mouton, de la chèvre ou du bœuf ? Faudrait-il y voir enfin, en songeant aux trois os de l’oreille nommés ainsi, un appel à une écoute attentive, sensible, et à la prise en compte d’une parole vibrante, celle de la poétesse ? Par la richesse de ses illustrations autant que par la force de ses textes, à la fois dentelles et matières à la fois limpides et résistantes, celle-ci nous invite à nous réapproprier la nature environnante d’un monde qui nous reste souvent méconnu. 

Cécile A. Holdban a divisé l’ensemble du recueil en dix sections, elles-mêmes découpées en courts textes aphoristiques ouverts, sans ponctuation, que le lecteur pourrait imaginer comme des osselets jetés à la verticale, dans un mouvement d’aller-retour, le premier entraînant un autre puis le suivant, et ainsi de suite, tel que le suggère l’ensemble « Minos » dans lequel « le labyrinthe » mène à « la pensée », puis « la pensée » au « chemin », et le « chemin » de nouveau à la pensée. Ce mouvement d’écoulement en même temps que de « découlement » d’une idée ou d’une évocation vers une autre est notable dans tout le reste du recueil ; et c’est assez jouissif, avouons-le, de suivre la pensée vagabonde de la poétesse. C’est le cas par exemple dans « Nuagier » (quel joli mot !) où s’ajoute, de surcroît, l’idée d’un liant entre les parties, le mot « nuage » étant répété et traité dans toute sa complexité sémantique et symbolique, jusqu’à en déconstruire les images les plus courantes. C’est par ce mécanisme d’ailleurs, où s’entremêlent le son, le sens et l’émotion, qu’émerge la poésie : « les nuages, nés au fond d’un abîme / montent en nous / tout au long de notre vie ». »

À propos de Chiffreurs et bousingos

Olivier Sauvage a lu le livre d’Alexandre Prieux pour le numéro 201 de la revue Romantisme (2023).

Extrait :

« Dans cet ouvrage bref mais dense, écrit avec une fougue qui emporte le lecteur dès les premières lignes, Alexandre Prieux prend résolument le parti de Théophile Gautier et des Jeunes-France, incarnation à ses yeux du romantisme le plus authentique. Le fameux gilet rouge que portait Gautier le soir de la première d’Hernani, et sur lequel l’auteur de Mademoiselle de Maupin s’est lui-même plu à ironiser dans un chapitre de son Histoire du romantisme, écrite quatre décennies après les faits, semble dans cette perspective « nous donner le spectre de toute visibilité événementielle : son rouge apparaît comme la couleur primaire de l’Histoire ». Alexandre Prieux s’empresse toutefois de préciser de quel rouge il s’agit : Gautier ne pense pas au rouge politique, mais au « rouge historique », car, comme le précise Prieux, « sa teinte est plus lumineuse et plus profonde, plus idéale, plus héraldique ». Le « parti » de Gautier est avant tout esthétique, et se rattache au Moyen Âge chevaleresque. Il « évoque un ordre de paladins prêts à mourir pour des mouchoirs, plus volontiers que pour la liberté ou le peuple ». Gautier lui-même avait forgé l’expression « parti mâchicoulis », que l’on aurait tort de prendre pour une simple revendication de pittoresque. Alexandre Prieux rappelle à juste titre l’origine militaire du terme, qui correspond bien à la « formule stratégique » de l’art de Gautier, qui associe « l’orfèvrerie et la mitraille » en un style volontairement énergique. Le véritable enjeu esthétique réside en cela : « Le Classicisme reproche au Romantisme, moins ses massacres d’hémistiches et son viol généreux de la bienséance, que cet usage inédit de l’art comme une forme élégante de bouche à feu. » (…) »

L’article est accessible en intégralité sur Cairn.info : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2023-3-page-169.htm

Alain Roussel à propos du Vent dans les arbres

Un grand merci à Alain Roussel qui donne une recension du livre de Jean-Pierre Le Goff, Le Vent dans les arbres, sur le site de Pierre Campion, « A la littérature ». Cet article a d’abord paru dans la revue Europe, n° 1133-1134, septembre-octobre 2023.

Extrait :

« (…) Le Goff, avec ce recueil de « pensées traçantes », nous invite à une quête du « Sens » comme il y en a peu aujourd’hui. Il pousse la logique dans ses retranchements, parfois jusqu’à l’évidence absurde, d’autant plus irréfutable : « les trous n’ont pas d’ombre ». Tout commence par une observation méticuleuse du réel. C’est de la rencontre des mots et des choses que naît toute représentation. Chez ce poète, le « démon de la formulation » est constamment à l’œuvre avec l’espoir, en nommant les moindres détails de l’objet, de le reconstituer mentalement par assemblage. Mais la description n’est jamais complète et l’on peut toujours introduire un nouveau mot pour dire une partie qui n’avait pas été nommée ou mal nommée. La chose échappe ainsi à toute tentative de désignation et révèle, malgré les artifices verbaux dont souvent on l’affuble et même toute la lumière dont on veut l’éclairer, sa part d’innommable, de secret indéchiffrable que l’on peut approcher mais sans jamais dépasser le seuil. La seule façon d’évoquer l’objet, par essence inatteignable, est de multiplier les pistes plutôt qu’un seul chemin, d’où cette écriture souvent par fragments qui se font écho pour tenter de dire l’inexprimable. Si André Breton, dans un texte magistral intitulé Le merveilleux contre le mystère, a choisi « l’abandon pur et simple au merveilleux », c’est plutôt le mystère qui attire Jean-Pierre Le Goff, celui qui est dans les choses faisant écho à celui tapi au plus profond de l’homme et qui exige un cheminement quasi initiatique, fait de dépouillement et de lâcher-prise, pour se rendre apte à recevoir le « Secret » qui pourtant, à peine entrevu, redevient aussitôt secret. (…) »

L’article est à lire en intégralité ici.

Une lettre-hommage de François-René Simon à Jean-Pierre Le Goff

Dans En attendant Nadeau, François-René Simon adresse une émouvante lettre à son ami disparu en 2012, dans laquelle il évoque notamment Le Vent dans les arbres publié ce printemps au Cadran ligné. Extrait :

« Sylvain Tanquerel a également eu l’excellente idée de réunir sous un titre assez anodin, Le vent dans les arbres, un certain nombre – soixante-trois exactement – de tes textes publiés dans les revues mentionnées plus haut, auxquelles il convient d’ajouter Camouflage et Homnésies. Titre anodin, voire banal qui convient sans doute à l’adepte des Congrès de Banalyse que tu fus, lesquels se tenaient dans la célèbre gare des Fades, en Auvergne comme tout le monde le sait. Banal, tu ne l’es pas du tout : se glisser ainsi dans l’inapparence des choses pour les faire apparaître au travers des mots et des phrases dont tu es obsédé dès « le matin au petit déjeuner » n’est pas à la portée de n’importe qui. J’ai longtemps pensé que tu t’ingéniais à te faire disparaître derrière ce que tu écris, une manière de te rendre neutre, de te neutraliser. Ce livre contredit cette fausse appréciation tout au long de ses 380 pages (non compris la postface). J’ai pensé aussi, pour te faire inutilement entrer dans la cohorte des écrivains consacrés, à te rapprocher de celui qui avait pris le parti pris des choses, Francis Ponge, qui ne craignait pas de nous faire entrer dans la cuisine pour nous faire apprécier autant ses plats que leur mijotage. Quelle erreur de ma part ! Tu es bien plus simple : tu écris (sur tout ce qui te tombe sous la plume), et une chose n’existe que pour en rappeler une autre, qui elle-même renverra à une autre et ainsi de suite.

Grâce à toi, le lecteur peut ainsi appréhender tout l’univers à partir d’un rien et même d’un moins que rien : l’immatérialité d’une aile de papillon qui s’écaille dès qu’on le frôle et qui vous jette ainsi de la poudre aux yeux, vous faisant toucher du doigt la jonction du feu et de l’air. On reconnaît ici « le démon de l’analogie » cher à Mallarmé, cette façon d’énoncer le monde comme si tout n’était que miroir, autrement dit rien, « la goutte de néant qui manque à la mer » d’Igitur. Rien, sinon le verbe pour le dire. Cette obsession du langage (dont André Breton disait qu’il a été « donné à l’homme pour qu’il en fasse un usage surréaliste »), tu en donnes une illustration sérieuse et drôle en déclinant quelque cinquante noms qui désignent tout ou partie de la plume d’oie, parmi les deux cent cinquante répertoriés par une certaine Mme Coquelard (si ce nom n’est pas un canular, ça y ressemble). Le choix de la plume d’oie n’est pas un hasard, même si tu as pour ce dernier une indubitable vénération qui t’a conduit à lui consacrer un de tes envois recueillis dans Le cachet de la poste. Les objets qui servent à écrire reflètent ton goût de l’écriture et la qualité de ta langue mais il n’y a là rien qui s’apparente à une tautologie, une langue qui ne parlerait que d’elle-même. Au contraire, tout chez toi n’est qu’ouverture et puisqu’un chapitre de ton livre lui a donné son titre, j’en extrais cette phrase qui pourrait lui servir de fenêtre (on imagine le livre-objet) : « Les mots sont à l’esprit ce que les arbres sont au vent : celui-ci passe au travers sans rien y déposer comme sur le mot glissent les simples miroitements d’une réverbération mentale ».